19/07/2017

Le baron de Hirsch, banquier, juif et philanthrope - Troisième partie

Un parvenu entre politique et philanthropie

Maurice de Hirsch comme beaucoup à l’époque fut pris dans la tourmente du boulangisme. Rappelons que Georges Boulanger, général de l’armée française, fut à le héros d’une des principales affaires de la IIIe République naissante. Né en 1837, il se suicida à Bruxelles en 1891.

Le général Boulanger
Après une belle carrière militaire, commencée à sa sortie de Saint-Cyr en 1856, il participa à la campagne d’Italie menée par Napoléon III en vue de l’unité italienne, puis à la campagne de Cochinchine, puis fut fait chef de bataillon en 1870, colonel après la répression de la Commune de Paris. Il est commandeur de la Légion d’Honneur en 1871. En 1874, il a pour chef le duc d’Aumale. En 1880, il est nommé général, puis général de division en 1884. Clemenceau, dont il est proche, le fait nommer ministre de la Guerre dans le cabinet Freycinet. Grâce à lui, l’armée française adopte le fameux fusil Lebel. Républicain, il fait signer à Jules Grévy le décret d’expulsion des “chefs de familles ayant régné sur la France et leurs héritiers directs », prévoyant l’exclusion de l’armée des princes, dont le duc d’Aumale, son chef, qui n’étaient pas touchés par le décret d'exil. 


Henri d’Orléans, duc d’Aumale(1822-1897)
Il devint rapidement “le Général Revanche”. « Nous pouvons enfin renoncer à la triste politique défensive ; la France doit désormais suivre hautement la politique offensive »,dit-il séduisant ainsi une grande partie de l’opinion publique, tous courants politiques confondus, qui veut se venger de l’Allemagne et récupérer l’Alsace-Lorraine. A la suite du scandale des décorations qui emporte Jules Grévy, Boulanger devient un personnage clé pour l’élection du nouveau président de la République. Elu à la Chambre des Députés dans deux départements, il doit quitter l’armée en raison de l’inéligibilité de ses membres aux fonctions politiques. Il entre alors en tractation avec le prince Napoléon, d’un côté, et les milieux orléanistes de l’autre. Il est le candidat de tout le monde. Et le 27 janvier 1889, il est à nouveau élu sur programme  « Dissolution, révision, constituante ». 50 000 personnes l’acclament Place de la Madeleine. Ses amis lui demandent de marcher sur l’Elysée et de prendre le pouvoir. Il préfère finir son dîner chez “Durand”. Mais le dîner fini, ce fut aussi la fin de sa carrière. Il représentait un véritable danger aux yeux des Républicains, le danger de lui voir faire un coup d’état, le danger de le voir rappeler soit les Orléans, soit les Bonaparte. 

Le 1er avril 1889, un ordre d’arrestation est lancé contre lui. Il s’enfuit alors à Bruxelles. Le 4 avril, son immunité parlementaire est levée. Boulanger est poursuivi pour « complot contre la sûreté intérieure » mais aussi pour détournement des deniers publics, corruption et prévarication. Le 14 août, il est condamné par contumace par la Haute Cour de Justice. Le 30 septembre 1891, il se suicide sur la tombe de sa maîtresse, Marguerite de Bonnemains. C’en était fini du boulangisme. Mais ce mouvement ne fut pas sans laisser de trace dans la société française. 

Suicide du général Boulanger
Maurice de Hirsch, comme la plupart des personnes influentes de l’époque fut lui aussi dans la tourmente car il fut un des financiers indirects du mouvement. Hirsch était ami de longue date des princes d’Orléans. Les milieux monarchistes avaient réussi à convaincre les princes que favoriser Boulanger et son entreprise aiderait à rétablir la monarchie en France.

Prince Victor Bonaparte (1862-1926)
Le prince Victor Bonaparte, chef de la Maison Impériale, pensait de même. Une alliance rassemblant Orléanistes, légitimistes et bonapartistes s’établit donc en vue de porter au pouvoir celui en qui ils voient un sauveur à berner. Mais pour cela, il fallait de l’argent, beaucoup d’argent. Hirsch était monarchiste, à la fois par reconnaissance aux rois de Bavière qui avaient anobli sa famille, et par sentiment personnel favorable à des régimes stables, comme l’Autriche-Hongrie ou libéraux, comme la monarchie britannique. Cela ne l’avait pas empêché de recevoir le président de la République française dans ses chasses autrichiennes, et d’en avoir été fier comme il était fier d’y recevoir toutes les altesses de l’époque. 

Comte de Paris (1838-1894)
La duchesse d’Uzès, avait de son côté, contribué à hauteur de trois millions de francs-or, offerts au comte de Paris, qui ont vite été épuisés dans la préparation de la campagne de Boulanger. Le marquis de Breteuil, alors conseiller pour les Affaires étrangères du comte de Paris, songea à son “vieil ami” Hirsch. Ce dernier doit trouver un dérivatif à l’immense chagrin de la perte de son fils et c’est là-dessus que compte Breteuil. Et il réussit à le convaincre d’aider financièrement la campagne d’un homme pour lequel Hirsch n’avait aucun  sentiment de sympathie ni d’antipathie, Boulanger lui étant totalement indifférent. Mais il y eut plus, Breteuil promit d’appuyer la candidature du baron au Cercle de la rue Royale, le plus huppé de la capitale  avec le Jockey Club, ambition mondaine ultime de Maurice. Ce dernier pensait également que ces relations avec l’aristocratie l’aideraient à trouver une entente avec le Tsar de Russie dont certains de ses membres étaient proches, en vue d’aider les Juifs victimes de pogroms, dans le dessein de son nouveau projet philanthropique. 


Anne de Mortemart de Rochechouart (1847-1933) 
duchesse d’Uzès
Breteuil dans un premier temps demanda 100 000 Francs pour financer la campagne de Boulanger en Dordogne et dans le Nord - à l’époque, un député pouvait être élu dans différents départements. Hirsch en donna 200 000 en disant “ Voici la somme. Je ne vous demande pas d’explication et ne veux pas de reçu”. Breteuil avec une ironie féroce nota dans son journal “ C’est ainsi qu’un banquier juif donne de l’argent à un marquis catholique pour le remettre à un général athée.” Plus tard Hirsch déclara “ Il faut que le comte de Paris ait de l’argent. beaucoup d’argent. ce que vous avez entrepris coûte très cher. Il serait nécessaire pour réussir d’avoir cinquante millions…Mais on peut tenter la chose avec au moins dix ou quinze…” ( Mémoire de Breteuil - 3 mai 1888) Et il suggéra à Breteuil d’aller également voir Alphonse de Rothschild, pour lui demander de l’argent. 

Baron Alphonse de Rothschild (1845-1934)
Le 13 décembre 1888, Hirsch demande à rencontrer le duc de Chartres pour lui annoncer la somme qu’il met à disposition, soit cinq millions de Francs-or. Dans l’esprit de Maurice, ce n’est pas Boulanger qu’il finance mais bien la restauration sur le trône de France de ses amis Orléans, comme il a déjà aidé leur neveu, Ferdinand, fils de la princesse Clémentine, tante du comte de Paris, pour le trône bulgare.

Après l’échec du coup d’état de Boulanger, Hirsch est inquiété. Le marquis de Gallifet le dénonce  aux autorités dans ces termes “ Je suis certain que cet émigré autrichien arrose de son argent les plates-bandes du boulangisme. Pourquoi ne l’expulsez-vous pas ?”. Sur les conseils de Breteuil, Hirsch va voir Jules Ferry en assurant “qu’il n’y ait pas un mot de vrai dans ces racontars.” Sa tranquillité lui coûta cent mille francs. Mais ces démentis ne trompaient personne, la duchesse d’Uzès ayant naïvement raconté au Figaro les dessous de l’aventure, cité les noms des protagonistes et le montant des sommes versés par les uns et les autres, à commencer par elle et par Hirsch. 

Les millions versés n’ont jamais été réclamés par Maurice, ni par Clara à sa mort, les royalistes auraient été bien en peine de les rembourser. Et puis ces sommes “mises à la disposition” étaient sans doute considérées comme données. Certains ont assuré que le désir qu’avait Maurice de voir les princes sur le trône était aussi dicté par l’espérance d’une pairie…

Cercle de la rue Royale par James Tissot
Mais à défaut d’une pairie, Maurice se contenterait d’appartenir au Cercle de la rue Royale. Il rappela au marquis de Breteuil ses offres d’aide à y être accepté. Ce dernier ayant tout promis n’en est pas moins réaliste au moment de l’accomplissement des promesses “ Hirsch veut commencer à toucher ses dividendes et il s’est mis dans la tête d’être reçu au Cercle de la rue Royale. Il est venu m’en parler il y a quelques jours mais, comme je connais les idées mesquines et le snobisme de beaucoup de ses membres, comme je suis convaincu que la tribu des Rothschild fera en sous-main tous ses efforts pour le faire échouer et comme je ne doute pas que tous les petits juifs qui font partie de ce cercle, ne seront pas plus favorables à sa candidature, j’ai essayé de le décourager et lui ai dit très franchement que le moment ne me paraissait pas propice et qu’il devait nous laisser le soin, à quelques amis et à moi, qui avons de la reconnaissance pleine le coeur, de préparer le terrain. Mais il paraît que je ne l’ai pas convaincu et il a dû faire quelques démarches auprès du duc de Chartres…désireux comme nous tous de lui être agréable. Le comte de Paris…mis au courant…nous a fait savoir…que nous lui ferions plaisir en nous en occupant.”

Mais ni le marquis de Breteuil, ni le duc de La Trémoïlle, ni les princes d’Orléans ne réussirent à convaincre les membres du Cercle. Hirsch n’obtint que huit boules blanches contre seize boules noires, score qui lui interdisait de se représenter. Le Cercle comptait alors huit Rothschild. Les autres banquiers juifs de Paris, les Camondo, les Cahen d’Anvers, les Ephrussi faisaient partie de ces cercles interdits à Maurice qui en enrageait.

Il eut une petite revanche toutefois, en achetant les locaux du Cercle de la rue Royale, pour deux millions de Francs-or et qu’il pouvait ne pas renouveler le bail venu à expiration en décembre 1892. Dans leur fureur, les membres du Cercle quand ils l’apprirent menacèrent de le mettre au ban de la société parisienne, voire de le faire expulser. Hirsch devant la gravité des menaces revendit l’immeuble à prix coûtant à une société anonyme constituée des membres du Cercle.

Une campagne antisémite s’abattit sur le baron, qui crut à un moment donné avoir à quitter la Paris. 

Edouard Drumont dans la “Libre Parole” du 25 avril 1896 , soit après sa mort, lui rendit étonnamment  hommage en écrivant : “ Tout scrupule moral mis à part, ce juif-là qui gagnait des millions comme il voulait, avait une intelligence autrement pratique que la plupart des clubmen dont beaucoup tirent le diable par une queue plus ou moins dorée.”

Caricature antisémite
La campagne antisémite animée par le même Drumont et Auguste Chirac, journaliste économique, porta sur plusieurs fronts. On l’accusa d’être un corrupteur né; on l’accusa du krach de l’Union Générale, alors que seule la mauvaise gestion de Bontoux, en était la cause; on l’accusa d’être anti-français et de faire tirer sur des militaires et sur les enfants qui pénétraient les bois de sa propriété de Beauregard; on l’accusa avec les Rothschild de prendre l’argent des Français pour le donner à l’Allemagne.

C’est à ce moment-là que l’anti-judaïsme traditionnel de la société chrétienne se transforma. D’une hostilité ancestrale, elle devint une idéologie politique. Tous oubliaient combien la France et l’Europe devaient à ces banquiers entreprenants.

Hirsch lui-même déclara dans un entretien au journal “The Forum” en août 1891 : “ Pour les besoins de l’analyse, je diviserai les juifs en trois catégories, les pauvres, la classe moyenne et les riches. Les pauvres sont surtout l’objet de moquerie mais ne suscitent en aucun cas l’envie. La classe moyenne ne s’est pas levée assez haut pour attirer l’attention et susciter la jalousie de ceux qui se situent en dessous d’elle ( ce en quoi le baron se trompait); le troisième groupe, celui ses riches, qui dans la dernière moitié de ce siècle a amassé non pas de millions mais des milliards, provoqué une envie toute particulière parce que au moment même où se produisait sa prodigieuse élévation matérielle, ceux qui étaient autrefois les seuls dirigeants de la société féodale, au lieu d’aller de l’avant avait régressé proportionnellement. Sans penser à s’interroger sur leurs propres insuffisances, ils ont considéré les juifs riches comme la cause de leur dégringolade…Les richesses de cette classe lui ont été reprochées sans que l’on se rende compte qu’à travers leur esprit d’entreprise, leur créativité et leur admirable connaissance des affaires, ses membres ont enrichi le pays où ils vivent…On devrait plutôt les remercier pour la construction des chemins de fer, la mise en place des grandes industries et l’aide qu’ils ont fournie aux Etats concernés pour atteindre une plus grande prospérité.”

Maurice de Hirsch

Le “juif corrupteur, manipulateur, anti-français” avait échoué dans sa tentative d’influer sur le cours de la vie publique française. Il défendait, comme il le pouvait, ses coreligionnaires en insistant sur tout ce que les juifs avaient apporté à la société. Mais désormais son combat serait ailleurs. Le snob, le mondain frustré allait désormais se conformer aux principes fondamentaux de sa religion.

Le baron Maurice de Hirsch était athée mais il avait baigné depuis son enfance dans la culture et la religion juives. Jamais, il ne lui serait venu à l’idée de se convertir. Il avait à ses côtés une femme, Clara, qui inspira et le soutint dans ce qui sera la véritable oeuvre du baron de Hirsch. 

Un des fondements de la religion du juive est la “tsedaka”. Ce mot n’a pas d’équivalent dans d’autres langues car il se traduit à la fois par droiture, équité, vertu ou justice. 


“Tsedaka” en hébreu
Son équivalent pourrait être charité ou aumône, voire amour du prochain. Mais les concepts sous-tendus ne sont pas les mêmes. L’aumône ou la charité font appel à des sentiments de pitié et de compassion, alors que la “tsedaka” fait appel à des notions de justice et d’équité.

On se doit dans la religion juive d’aider l’autre non en lui permettant de survivre mais en lui donnant les moyens de vivre de manière libre et indépendante. Ce n’est pas dans l’esprit de conquérir sa place au Paradis que le juif aide, c’est touts simplement parce qu’il est de devoir des riches d’aider les pauvres à s’en sortir. Cela n’empêche en rien l’aide apportée aux malades, aux orphelins, à ceux qui ne peuvent pas gagner leurs vies et dépendent des autres pour survivre. Mais le but ultime de l’aide est d’aider ceux qui sont dans le besoin à s’en sortir par eux-mêmes.

Doter une jeune fille pauvre, qui sans cela ne trouverait pas à se marier, créer des sociétés de prêts pour de jeunes parents ou des artisans en difficulté, mettre à leur disposition des caisses d’entre aide mutuelles en cas de maladie. Voilà quelques-unes des actions dans laquelle s’investit l’aide que les riches font aux pauvres. 

Maurice et Clara de Hirsch, à la mort de leur fils Lucien, trouveront dans ces aides un moyen de sortir de leur chagrin. Entre eux deux, ils auront dépensé des sommes représentant plus de deux cent millions d’euros pour aider leurs coreligionnaires à sortir de la misère, comme il sera vu ci-après. Mais ils ont aussi aidé ceux qui ne pouvaient pas s’en sortir par dizaines de millions d’euros. Ils ont créé écoles écoles et hôpitaux, dont celui de Salonique qui existe toujours. Ils ont rebâti des quartiers entiers dans des villes dévastées. Mais leur aide directe et indirecte ne s’adressait pas qu’aux juifs. musulmans et chrétiens en ont aussi bénéficié. Nul n’a jamais fait appel à eux sans recevoir un secours. 

Hôpital de Salonique fondé et financé par les Hirsch

Les cinq millions perdus dans le Boulangisme ne comptaient pas par rapport aux centaines offerts à la communauté des nécessiteux.

Le baron de Hirsch et la Russie

Le 1er mars 1881, Alexandre II, le tsar réformateur, est assassiné. Pour les Juifs de Russie ce fut le début de la catastrophe.

Alexandre II (1818-1881)
Sous le règne de Nicolas Ier, leur situation n’avait pas été bonne. Plus de 600 décrets, ordonnances et arrêtés avaient, en trente ans de législation anti-juive, limité de façon drastique les activités de cette communauté de manière à les obliger à une assimilation forcée. Ils ont du renoncer à leurs particularismes linguistiques, vestimentaires, scolaires. Les soldats et policiers avaient le droit de couper leurs longs cheveux de part et d’autre du visage des hommes, d’arracher leurs lévitiques, vêtements traditionnels, ou d’ôter les foulards des femmes. 



Juif de Galicie
Le service militaire leur avait été imposé avec des périodes pouvant aller jusqu’à vingt-cinq ans. Les conseils religieux, les “kahals”, avaient été interdits. Toutefois, les écoles primaires russes avaient été ouvertes aux enfants juifs, sans obligation de conversation pour assister aux cours.

Il est difficile de savoir si ces mesures n’étaient que discriminatoires contre une population honnie ou si elles relevaient d’un désir d’assimilation de populations retardées. 

Maurice de Hirsch avait porté un jugement sévère sur les religieux juifs de l’Empire Ottoman qu’il accusait d’obscurantisme volontaire. Et il est possible qu’il ait porté le même jugement sur les juifs de Russie. Cependant le libéral athée qu’il était s’offusquait de la brutalité des méthodes employées.


Juifs dans un shtetl en Pologne russe

Lors du Congrès de Berlin en 1878, la question des populations juives de Russie avait été longuement évoquée. Les Puissances, contre la volonté de la Russie représentée par le chancelier Gortchakoff, avaient exigé des pays issus des traités, Roumanie, Serbie et Bulgarie, que les Juifs aient un véritable droit de citoyenneté, comme en France, en Allemagne, en Autriche ou en Angleterre. Gortchakoff avait objecté “qu’il n’y avait pas lieu de confondre les Juifs évolués de Paris, de Berlin, de Londres ou de Vienne, auxquels ils était impossible de refuser les droits civiques, avec ceux de ces pays ou de certaines provinces de Russie, qui représentaient un véritable fléau pour les populations autochtones.” Sa position avait le mérite d’être claire. Bismarck lui avait répliqué que la situation des Juifs russes résultait de leur absence de tout droit. 

Seule la Bulgarie de Ferdinand obtempéra aux demandes des Puissances.

Alexandre II avait été couronné en 1856 et le Congrès de Berlin se passait alors qu’il était sur le trône. Cependant parmi les mesures prises par le nouveau souverain, il y avait l’interdiction de pogroms - un seul en 1871 durant tout son règne - et une amélioration de leur statut civil. Ils obtinrent le droit de voter et se faire élire à certaines assemblées provinciales, ils obtinrent la liberté d’entreprendre et de commercer en dehors des zones qui leur avaient été affectées jusque là. Il en fut de même pour les professions libérales. Des grandes fortunes juives s’édifièrent alors comme celles des Günzburg et des Poliakoff, dont il sera parlé ci-après.

Le Tsar avait fait supprimer les quotas de juifs dans les écoles et à l’université, de manière à favoriser l’assimilation par le savoir. En fait Alexandre II souhaitait libérer les Juifs comme il l’avait fait avec les serfs.

Il y avait une étudiante juive parmi les terroristes qui l’assassinèrent. Ce fut le début de la grande vague d’antisémitisme violent qui emporta la Russie dans un premier temps, puis l’Europe après 1918. Les Juifs russes étaient désormais considérés comme des régicides.


Alexandre III (1845-1874)

Alexandre III, le nouveau tsar, avait la réputation d’être moins intelligent que son père, moins ouvert au progrès et à l’Occident. Il était aussi d’une religiosité frisant le superstition. Il fut à la hauteur de sa réputation. Son règne débuta par une répression anti juive massive avec comme objectif de débarrasser la Russie de ses Juifs.

Deux hommes furent à la tête de ce système : Pobiedonostsev et Ignatieff. Le premier nommé Procureur Général du Saint-Synode, en fait chef de l’Eglise orthodoxe, était célébre pour son antisémitisme fanatique. Il déclara : “ Un tiers des Juifs sera contraint d’émigrer; un tiers finira par se convertir ; un tiers mourra de faim” ( cité par Simon Doubnov dans Histoire du peuple juif - Editions du Cerf 1994). Le deuxième était ministre de l’intérieur et le chef de la Société Sainte, une organisation de militaire et d’aristocrates ultra-réactionnaires. 

Constantin  Pobiedonostsev  (1827-1907)



Comte Nicolas Ignatiev (1832-1908)

Le premier pogrom éclata le 15 avril 1881, un mois et demie après l’assassinat d’Alesandre II, à Elisabethgrad. Le 26 avril, ce fut à Kiev,  puis à Varsovie, à Balta et partout dans toutes les provinces de l’Empire. C’était chaque fois la même chose, une masse composée de miséreux, d’ouvriers et de paysans s’attaquaient aux maisons juives et à leur habitants. La police attendait toujours la fin du massacre pour intervenir. 

Cette série de pogroms avait peut-être pour objectif de détourner la colère des masses en la concentrant sur les juifs. 

Les pogroms se doublaient de mesures administratives annulant toutes les concessions du règne précédent. Alexandre III promulgua une série de mesures contre les Juifs, que l’on appela les « lois de mai ». Elles disposaient notamment :

Une interdiction faite aux Juifs de résider hors des villes et des bourgades.
Une suspension temporaire de l’enregistrement des transferts de biens immobiliers et des hypothèques aux noms de Juifs. Il était en outre fait interdiction aux Juifs d’administrer ces biens.
Une interdiction faite aux Juifs de commercer le dimanche et les jours fériés chrétiens.

Pogrom à Chisinau en Moldavie en 1903
Voici ce qu’écrit Berel Wein, dans Triumph of Survival (p. 173), à propos du règne d’Alexandre III :
“Les expulsions, les déportations, les arrestations et les brutalités sont devenues le lot quotidien des Juifs, non seulement des classes inférieures, mais même des classes moyennes et de l’intelligentsia. Le gouvernement d’Alexandre III déclara la guerre à ses habitants juifs… Les Juifs étaient pris en chasse et poursuivis, et l’émigration leur apparut comme le seul moyen d’échapper à la terrible tyrannie des Romanov.”

Le nouveau tsar, toutefois, devant l’effet désastreux de l’image que donnait la Russie, ordonna que cessent les massacres. Mais Ignatieff réussit à le convaincre que ces violences étaient parfaitement justifiées car la responsabilité en incombait aux Juifs. 

Fuite après un pogrom
Terrifiés, des milliers de Juifs quittèrent leur résidence pour tenter de fuir à l’étranger. La ville de Brody en Galicie à la frontière de l’Autriche  en vit arriver 24 000  entre  1882 et 1883, dans un état de misère effroyable. Alerté, Maurice de Hirsch offrit un crédit illimité à ses représentants, Emmanuel Veneziani et Charles Netter, fondateur avec Adolphe Crémeux de l’Alliance Israélite Universelle en 1860 . 

Brody en Galicie
Au-delà l’aide immédiate, il fallait préparer l’émigration de ceux qui le souhaitaient et le pouvaient et aider au retour chez eux de ceux qui, par faiblesse, ne pouvaient pas partir. Il aurait alors dépensé la somme de six millions de francs-or - environs 18 millions d’euros. 

Comte Dimitri Tolstoï (1823-1889)
Le tsar remplaça Ignatieff par le comte Dimitri Tolstoï qui effrayé par les désordres engendrés par les pogroms y mit fin, permettant le retour en Russie de ceux qui avaient fui sans trouver de vrai refuge ailleurs. La question de l’accueil était extrêmement complexe car certains pays comme les Etats-Unis étaient de plus en plus réfractaires à recevoir ces populations incultes et non formées, d’autres, en Europe, en Afrique ou Asie acceptèrent de les recevoir grâce à l’appui que Maurice de Hirsch avait dans les communautés juives locales

Certains avaient émigré en Palestine, d’où la misère qui y régnait les chassa rapidement, à l’exception de quelques-uns qui fondèrent les premières colonies agricoles juives, grâce aux secours que le baron leur fournit, bien qu’il fut hostile au retour en Palestine. 

Ces pogroms furent sans doute ce qui déclencha chez Maurice et Clara de Hirsch le désir de porter secours à leurs coreligionnaires de façon constructive et systématique et non par une aide momentanée des plus miséreux. Maurice procéda alors à une évaluation de sa fortune afin de savoir de combien il pouvait disposer pour aider les juifs russes, sans léser Lucien, son fils. 

Le comte Tolstoï, sous la pression de Pobiedonostsev, surnommé “Le Grand Inquisiteur”, dut renforcer l’appareil de représailles administratives contre la population juive.


Baron Horace de Günzburg (1833-1909)
A partir de 1888, le droit de résidence des catégories professionnelles tolérées, médecins, avocats, commerçants, dans le district de Moscou fut limité. L’accès aux grades d’officiers de l’armée limité aussi à 5% des effectifs. Puis on interdit l’accès aux professions juridiques et au barreau. On limita l’accès des élèves juifs dans les écoles primaires puis, sur l’ordre de Pobiedonostsev, ce furent les les lycées et l’université qui virent leurs quotas de juif limités à 5% et 3% à Moscou. 

Les barons Joseph et Horace de Günzburg, père et fils, avaient fondé en 1863 un réseau d’écoles primaires pour aider les Juifs, la Société Pour la Propagation de l’Enseignement Primaire en 1863, sous Alexandre II. En 1886, au vu de l’interdiction des écoles d’Etat, elle ne pouvait plus faire face aux demandes et les Günzburg s’étaient adressés à Maurice de Hirsch. Ce dernier avait offert cinquante millions de francs pour favoriser l’émigration des juifs russes mais cette idée avait été refusée par la communauté juive, arguant qu’il avait mieux les aider à rester sur place que les obliger à quitter leur terre natale. Hirsch se rendit à leurs arguments et ce d’autant plus facilement qu’il rencontrait des résistances aux Etats-Unis et au sein même de l’Alliance Juive Internationale. Il accepta de donner ces cinquante millions pour aider l’éducation des juifs russes.

Le 18 août 1887, soit après la mort de Lucien, il envoya une première version des statuts se la fondation qu’il comptait créer à Samuel de Poliakoff, qui était le beau-père de son frère James de Hirsch. 
Baron Samuel de Poliakoff (1837-1888)
Cinquante millions de francs donc, soit environs cent cinquante millions d’euros (mais en réalité la valeur d’utilité de la somme était bien supérieure ) devaient être consacrés à “une oeuvre philanthropique destinée à se réaliser sur le territoire de l’empire russe qui serait assurée de rencontrer l’aide et la sympathie du gouvernement de Sa Majesté Impériale, le Tsar” Et il continue “ J’ajoute qu’en prenant cette initiative, je ne suis nullement guidé par des idées de propagande religieuse, que si je consacre de préférence des efforts à l’amélioration du sort de mes coreligionnaires les plus démunis, c’est surtout dans l’idée qu’ils peuvent avoir un plus grand besoin d’un pareil secours…je suis tout aussi disposé à intervenir en faveur des écoles russes en général et que j’envisage de faire cet effort simultanément avec la fondation destinée aux Israélites en créant une deuxième fondation au chiffre de…que je mettrai à la disposition de Son Excellence Monsieur Pobiedonostsev…chef du Saint Synode de Saint-Petersbourg.” (lettre à Samuel de Poliakoff le 18 août 1887) 

Mais Maurice de Hirsch n’a aucune confiance dans le gouvernement russe et il stipule que le capital doit être déposé dans une banque française et que les intérêts servant à financer les objectifs de la Fondation doivent être versés à un comité rattaché au ministère de l’Instruction publique russe, après avoir reçu l’autorisation du fondateur. Ce comité devait être composé de douze membres, dix israélites désignés par le fondateur et deux chrétiens proposés par le ministère. Il met en outre directement un million de francs à disposition de l’Eglise orthodoxe. 

Hirsch avait confiance en Alexandre III que ses amis, le prince de Galles, le général marquis d’Abzac et le marquis de Breteuil lui avaient assuré ne pas être antisémite et qu’il tolérait les pogroms et les lois restrictives plus qu’il ne les approuvait. 

La suite devait rabattre son optimisme. Poliakoff fut chargé d’aller voir le ministre de l’Instruction publique avec cette proposition. Mais l’entrevue se passa mal.

Quelques jours après, le ministre fit savoir qu’il avait changé d’opinion et en novembre 1887, Poliakoff reçu la lettre suivante : “ Sa Majesté, après examen des documents, a daigné donné l’ordre d’accepter la donation de Monsieur le baron Maurice de Hirsch…et de remercier le donateur pour ses donations extraordinaires et presque sans précédents.”

Comité directeur d’une yeshiva ( école )
Mais il fallait l’accord de Pobiedonostsev, qui le refusa en conseil des ministres où son avis était prépondérant. Le Tsar lui demanda alors courtoisement de modifier certaines dispositions des statuts ce que Hirsch accepta. Il envoya deux délégués pour en discuter avec le ministre de l’Instruction publique qui mit en avant les objections majeures : le placement du capital dans une banque française et la faible représentation du gouvernement russe au sein du Comité. 

Pobiedonostsev les reçut également courtoisement mais là aussi les objections étaient grandes. Les délégués comprirent que le gouvernement russe, par un droit de veto, souhaitait conserver la direction réelle du Comité et qu’il s’opposait de toutes façons à l’égalité entre enseignants et élèves juifs et enseignants et élèves russes. 

En fait le gouvernement s’opposait au but ultime du baron qui était de voir les juifs accéder à l’égalité civile par l’égalité de l’enseignement, permettant ainsi leur assimilation et leur émancipation. Il faut noter que pour Hirsch cette fondation n’avait pas pour but d’aider l’accès à l’Université par l’octroi de bourses. Elle devait permettre une élévation matérielle et sociale qui elle devait dans un deuxième temps permettre l’accès à l’université, une fois les familles sorties de la misère et de l’ignorance. 

Il écrivit au ministre : “ J’avais cru que les écoles à créer par ma fondation seraient placées sous tous les rapports sur un pied d’égalité avec les autres écoles publiques russes…mon but étant d’aider à l’abaissement des barrières qui séparaient en Russie les israélites du reste de la nation…Votre Excellence me fait comprendre qu’aux yeux du gouvernement impérial cette égalité de traitement n’est pas actuellement possible…en conséquence je suis à mon très vif regret obligé de renoncer…”

Grand seigneur Hirsch offrit à l’Eglise orthodoxe le million qui avait été promis, ce à quoi Pobiedonostsev répondit en guise de remerciement qu’il allait permettre de subventionner les écoles confessionnelles présentes dans tous les diocèse de l’empire, qui manquaient terriblement de ressources. Autrement dit, l’argent juif allait servir à alimenter l’antisémitisme. 

Il est possible que la décision du baron de laisser cet argent ait été dictée par le souhait de ne pas susciter le ressentiment de Pobiedonostsev, qui voyait malgré tout cinquante millions s’éloigner et sur lesquels il avait espéré mettre la main. 

Une partie de cet argent fut toutefois employé dans son but primitif mais ailleurs. L’Alliance Juive de Vienne avait décidé de mettre en place un réseau d’écoles primaires en Galicie autrichienne, qui en manquait tout autant qu’en Russie. Le capital fut de douze millions de francs dont la dépense permettait d’organiser “la diffusion de l’instruction primaire, de l’enseignement des métiers et de l’agriculture parmi le populations du royaume de Galicie et de Lodomérie, du Grand-duché de Cracovie et du duché de Bukovine” ( actuellement le sud de la Pologne et le nord-ouest de l’Ukraine). Des prêts en vue d’aider des artisans et des commerçants furent aussi mis en place. En 1878, le gouvernement autrichien avait refusé une offre identique. En 1888, sous la pression de François-Joseph, qui savait ce que l’empire d’Autriche devait aux activités du baron depuis 1873, le gouvernement accepta l’offre.

Carte de la Galicie au XIXe siècle

Clara de Hirsch offrit trois millions de couronnes pour une nouvelle fondation à l’occasion du cinquantenaire de l’avènement de François-Joseph.

En Russie, Maurice de Hirsch réussit tout de même à intervenir par le biais de la Jewish Colonisation Association ( JCA) mis en place en Galicie pour aider à l’enseignement de l’agriculteur et aider les jeunes juifs à sortir de la misère du shtetl, acquérant des connaissances qui leur permettaient d’émigrer vers l’Allemagne, les reste de l’Empire austro-hongrois, voire la France, l’Angleterre ou les Etats-Unis. 

La JCA ne put intervenir directement en Russie car émanant de Hirsch. Elle intervenir par le biais du baron de Günzburg, qui put grâce à ces fonds, créer une cinquantaine d’écoles pour filles et garçons. A la mort d’Alexandre III, Nicolas II autorisa la JCA à intervenir directement en Russie, car le Tsar avait compris que les écoles fondées permettraient l’émigration des juifs dont les Russes ne voulaient plus. Outre les écoles, la JCA finançait des bourses d’études à l’étranger et construisait des immeubles décents pour les plus pauvres. 

La grande affaire de Maurice de Hirsch commençait.




Schtetl à la fin du XIXe siècle















13/06/2017

Le baron de Hirsch, banquier, juif et philanthrope - Deuxième partie

Les Hirsch une famille juive noble installée à Paris

Durant ces années passées à se battre avec et contre la Sublime Porte, Maurice de Hirsch passait d’un côté à l’autre du continent européen, Clara, épousée en 1855, soit trente trois ans auparavant, l’avait suivi la plupart du temps. 

Clara de Hirsch

Si la famille de Hirsch était noble depuis 1818, date à laquelle Joseph, le père, fut admis dans l’ordre de la noblesse bavaroise et put s’appeler Hirsch aux Gereuth, il ne devint baron qu’en 1869, en même temps que son père qui se vit reconnaître ce titre héréditaire par le roi Louis II de Bavière en remerciement des services financiers rendus lors de la guerre austro-prussienne de 1867, Louis II s’étant rangé du côté de l’Autriche, à laquelle il tenait par son sang paternel Wittelsbach, contre la Prusse à laquelle il tenait par son sang maternel Hohenzollern.

Maurice de Hirsch a quatre frères et soeurs :

Amélie (1834) épouse de Henri Bamberger (1826-1908) banquier et cousin germain de Clara.
Emile (1838 )époux de Mathilde Landenburg
Théodore (1837) époux de Marie Alice Pilié
James (1843-1896) époux en premières noces de Marguerite Dalglish et en secondes noces de Zénaïde de Poliakoff, fille de Samuel de Poliakoff, Conseiller d’Etat de l’Empire de Russie,  dont il sera parlé plus loin.


James de Hirsch (1843-1896)
Clara Bischoffsheim de son côté était au coeur d’un réseau familial important et de premier ordre.

Son père, Jonathan-Raphaël Bischoffsheim (1808-1883) et sa mère, née Henrietta Goldschmidt (1812-1892), ont eu trois enfants , outre Clara :

Régine (1834-1905)  épouse de Leopold Benedict Hayum Goldschmidt (1830–1904), banquier. Dans leur descendance on trouve outre les grands noms de la banque juive au XIXe siècles, les Pastré, les Voguë, les d’Ormesson
Ferdinand Raphaël Bischoffsheim ( 1837-1909) banquier, marié à Mary Paine (1859–1900). Il fut reçu au Cercle de la Rue Royale en 1873, à la grande jalousie de Maurice, qui ne réussit jamais à y être admis. 
Hortense (1843-1901) épouse de Georges Montefiore-Levi (1832-1906) ingénieur et industriel.

Ses oncles et tantes sont 

1 - Louis Raphaël Bischoffsheim (1800–1873), banquier, fondateur de Bischoffsheim, Goldschmidt & Cie, marié à Amalia Goldschmidt (1804–1887), fille de Hayum Salomon Goldschmidt (1772–1843), banquier. Leur descendance est mariée chez les Ephrussi, les Rothschild et dans l’aristocratie anglaise avec un mariage avec le fils du duc de Wellington.


Louis Raphaël Bischoffsheim

2 - Amelie Bischoffsheim (1802–1877)3, mariée à August Bamberger (1790–1858), marchand de textiles et banquier. Un cousin Bamberger est marié à une soeur de Maurice de Hirsch 

3 - Clara Bischoffsheim (1810–1876), mariée à Meyer Joseph Cahen d'Anvers (1804–1881), banquier. Leur descendance se trouve dans la famille Cahen d’Anvers famille française juive, originaire d'Allemagne et de Belgique, qui porte le titre de comte, qui comprend des Montefiore, des Rothschild, des Camondo, mais aussi des Faucigny-Lucinge et des Murat.

Le neveu de Clara, Maurice Bischoffsheim (1875–1904), fils de Ferdinand, banquier, fut marié à Marie-Thérèse de Chevigné (1880–1963), fille de la comtesse Laure de Chevigné, un des modèles de la duchesse de Guermantes de Marcel Proust. Leur fille n’est autre que Marie-Laure Bischoffsheim (1902-1970) épouse de son cousin, le vicomte Charles de Noailles. Le couple fut certainementt parmi les plus grands mécènes du XXe siècle. Cocteau, Bunuel, Mallet-Stivens et bien d’autres furent leur protégés. Le petit-fils du couple, Charles de La Haye-Jousselin a épousé Esmeralda Maciotti, petite fille de Bianca, des princes Colonna de Stigliano. 

Les Bischoffsheim sont donc très riches mais aussi très bien apparentés et alliés, dans la haute banque israélite, comme dans l’aristocratie française et européenne. 

La famille proche de Maurice, neveux, oncles, cousins n’atteignit jamais le niveau de richesse de la famille de Clara, ni son niveau social et mondain, même si elle en fut proche. Les trois frères de Maurice s’installèrent à Paris en 1875. Emile et Théodore, venus faire fructifier l’affaire familiale de bière, achetèrent un des hôtels des Maréchaux à l’Etoile. Emile s’installa au rond-point des Champs-Elysées. 

En 1873, au début des affaires orientales de Maurice, le couple s’est installé à Paris de façon grandiose en achetant un hôtel particulier, 2 rue de l’Elysée, à l’angle de l’avenue Gabriel comprenant trois étages dont les fenêtres donnaient sur la rue et sur un jardin s'étendant jusqu'à l'avenue. 

Hôtel de Hirsch 2 rue de l'Elysée
La vente s’est conclue moyennant le prix de deux millions sept cent mille francs-or ( environs 11 millions d’euros aujourd’hui). le vendeur n’était autre que l’impératrice Eugénie. Se trouvant à l’étroit dans un tel l’immeuble, Maurice de Hirsch acheta le 4, 6 et 8 rue de l’Elysée moyennant un prix dit raisonnable puis les 24 et 25 Avenue Gabriel, pour le prix de trois millions cinq cent mille francs-or ( 13,5 millions d’euros) 

Hôtel de Hirsch façade Avenue Gabriel
Le premier corps de bâtiment – celui qui a été conservé – comprenait un office, une cuisine en sous-sol et une grande salle à manger éclairée par des fenêtres donnant sur la rue de l'Élysée et sur le jardin, ornée de belles boiseries rocaille en chêne ciré provenant du château de Bercy et de dessus-de-porte peints par Jean-Baptiste Monnoyer, ensemble toujours en place aujourd'hui. Cette pièce se prolongeait par un grand salon blanc lambrissé, dont la rotonde ouvrait sur une terrasse, et dont les vitrines renfermaient une collection de porcelaines de Saxe, et par deux petits salons. Ces pièces étaient commandées par un vestibule de marbre blanc accessible depuis le 2 rue de l'Élysée.

Dessin et Coupe de l'Hôtel de Hirsch

Hôtel de Hirsch sur la rue de l'Elysée
De l'autre côté de ce vestibule partait une grande galerie qui reliait ce corps de bâtiment au deuxième corps de logis sur l'avenue Gabriel. Cette galerie était ornée de deux commodes de marqueterie de Boulle payées 500 000 francs-or pièce. Elle desservait une salle des fêtes de style Louis XIV capable d'accueillir 2 000 invités, éclairée par huit lustres en cristal de Bohême et des paires d'appliques assorties, dont les portes recouvertes de miroir imitaient la galerie des glaces du château de Versailles. De l'autre côté, une véranda-serre se développait sur le jardin.

À l'extrémité de la galerie, dans le second corps de bâtiment, se trouvait un escalier d'honneur spectaculaire. 

Escalier d'honneur
« Réalisé dans un marbre blanc veiné de vert, l'escalier débutait par une volée centrale de seize marches en ligne droite dont la première mesurait sept mètres de large. Cette première volée aboutissait à un palier intermédiaire d'où partaient des volées latérales avec d'autres paliers intermédiaires conduisant au premier étage qui ouvrait sur des salons de réception et le jardin d'hiver. Les murs et le plafond de la cage d'escalier étaient agrémentés de motifs ornementaux. De chaque côté de l'escalier, dans des niches creusées à cet usage, on avait disposé deux grandes vasques en brocatelle d'Espagne, soutenues par des amours en marbre blanc de Carrare, inspirées du fameux bénitier de Saint-Pierre de Rome ! Une rampe en marbre vert ciselé, avec une main courante en bronze, menait aux trois balcons de la loggia. Les plafonds à sujets mythologiques de la cage d'escalier étaient signés par un peintre du nom de Chevallier. Aux murs étaient exposées diverses toiles dont un paysage de Ruyter et un imposant portrait équestre de Louis XIV par Van der Meulen. Dans les angles étaient accrochés quatre grands cartouches dont le fond en marbre vert était incrusté de têtes de cerfs avec cors en bronze, chutes de feuilles et ornements divers. La maçonnerie et la peinture de l'escalier avaient coûté la coquette somme de 1400000 francs à laquelle s'ajoutait un million supplémentaire pour la décoration. »

Dans la collection de Maurice de Hirsch figuraient le "Joueur de flûte" de Franz Hals, aujourd'hui à Berlin

Le Joueur de Flûte

et le "Portrait d'une famille bourgeoise" de Van Dyck, aujourd'hui au Musée de l'Hermitage à Saint-Petersbourg.

Portrait d'une famille bourgeoise

Le deuxième corps de bâtiment comprenait un sous-sol aménagé avec une grande cuisine, deux garde-manger, deux pièces pour le chef de cuisine, la buanderie, trois calorifères, un rez-de-chaussée, deux étages nobles et deux étages de comble, comprenant six pièces de réception et une vingtaine de chambres avec sanitaires, le tout desservi par un ascenseur. Le premier corps de bâtiment comprenait quant à lui, entre l'entresol, le premier, le deuxième étage et les combles environ une trentaine de chambre avec sanitaires.

Un troisième bâtiment, destiné aux communs et aux écuries, comprenait un sous-sol, un rez-de-chaussée, un premier étage avec une vingtaine de pièces, trois sanitaires et des combles partiellement aménagés. Au rez-de-chaussée se trouvait une remise pour huit voitures, une écurie pour dix-huit chevaux, trois box et une luxueuse sellerie.

Maurice, Clara et leur fils Lucien y menèrent un train de vie fastueux donnant les plus belles fêtes de Paris, et ce jusqu’en 1887, à la mort de Lucien.

Maurice de Hirsch sur la terrasse de son hôtel
Aujourd'hui, les hôtels des numéros 2 et 4 de la rue de l'Élysée abritent des services de la Présidence de la République française, notamment la cellule diplomatique dans le bel hôtel du no 2, acquis par l'État en 1967 pour abriter le secrétariat aux Affaires africaines et malgaches. Les nos 6 et 8 sont des résidences privées. 

La façade sur la rue de l'Elysée, aujourd'hui 
Le corps de bâtiment du no 24 avenue Gabriel a été démoli vers 1960 et a été remplacé par un luxueux immeuble en copropriété. Le jardin est désormais coupé en deux, mais les grilles d'origine ont été conservées. Ce qui subsiste de l'hôtel de Hirsch au no 2 rue de l'Élysée est inscrit sur l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Restes de la façade sur l'avenue Gabriel
“L’impératrice Eugénie, un jour, voulut revoir ces lieux où elle avait goûté les joies de l'existence libre, où elle avait été heureuse Elle visita tout ce qui demeurait de son ancienne résidence, la salle à manger de chêne, sa chambre et son petit boudoir bleu. Devant le panneau de Jourdan où sourit son fils, elle pleura.

--Merci! disait-elle à la baronne de Hirsch, merci d'avoir conservé ainsi tout cela. Ce boudoir!... On croirait que je viens d'en sortir hier... 

Quelles figures vieillies ou évanouies avaient pu se lever, dans les souvenirs de l'auguste visiteuse, autour de l'effigie de l'enfant blond... les belles amies d'autrefois... les souriantes femmes des décamérons fixés par Winterhalter: Mme de Pourtalès, Mme de Galliffet, Mme de Metternich... tout le passé!…” ( L’Illustration - 23 décembre 1905)

Boudoir de l'impétrante Eugénie


Ronde d'enfants  peinture d'A. Jourdan
le prince impérial est au milieu du groupe
La présente description de l’hôtel de Hirsch provient des descriptions faites par Dominique Frischer dans “Le Moïse des Amériques : Vies et œuvres du munificent baron de Hirsch”. (Paris, Grasset, 2002), celles de Félix de Rochegude, “Promenades dans toutes les rues de Paris. VIIIe arrondissement”, (Paris, Hachette, 1910) et celles d’Édouard Drumont, dans “La France juive, essai d'histoire contemporaine”, (Paris: Éditions du Trident, 1930). Pour l’antisémite Dumont, tout ceci n’était que l’étalage d’un luxe indécent et de mauvais goût.  

Theodor Herzl, venu présenter au baron de Hirsch son projet de création d'un état juif en Palestine, y vit : « Un palais ; une cour majestueuse, les escaliers latéraux aux nobles proportions ; et surtout l'escalier principal grandiose, autant d'éléments qui m'impressionnèrent. La richesse ne me fait de l'effet que sous forme de beauté. Et là, tout était beauté véritable. Les tableaux de grands maîtres, les marbres, les discrets Gobelins ! Bon sang ! En médisant de la richesse, nous avons négligé ces accessoires. Tout y était vraiment de grand style et, un peu hébété, je me laissais guider d'un valet à l'autre. » (Theodor Herzl, The Complete Diary, tome I, éd. R. Patan, New York et Londres: Herzl Press and Th. Yoseloff, 1960).

Selon le secrétaire de Clara de Hirsch, si les pièces de réception étaient magnifiquement meublées, il n’en était pas de même du reste de la demeure meublée sans recherche avec un mobilier hétéroclite. L’essentiel était de montrer sa richesse dans ce qui était accessible au public. 

Les différentes demeures des Rothschild, ou l'actuel Musée Nissim de Camondo, peuvent donner une idée de ce que fut le luxe éblouissant de l’Hôtel de Hirsch.



Musée Nissim de Camondo

De la balkanisation de l’Europe à l’Orient-Express - “Türkenhirsch”, un philanthrope en devenir

"Türkenhirsch"
Maurice de Hirsch devait quitter son bel hôtel bien souvent car les aléas de la politique étaient malgré tout présents. Il s’était engagé avec Fuad-Mehmed Pacha et Ali Pacha, pro-occidentaux modernistes mais à la mort de celui-ci, le nouveau Grand Vizir fut Mahmoud Pacha, russophile, voyant d’un mauvais oeil, comme Saint-Petersbourg, la progression des intérêts autrichiens dans les Balkans vers Istanbul. Il décida d’empêcher le raccordement du réseau ferré en construction avec le centre de l’Europe. Le Tsar voulait que l’empire ottoman soit d’abord relié à son pays. 

En 1872, il fut décidé par le vizir que la partie bosniaque du réseau ne serait pas construite, soit un tiers du réseau. Cela arrangeait en réalité Maurice de Hirsch car c’était la partie la plus difficile à construire, en raison de la nature du terrain.

Lignes réalisées et non réalisées par Hirsch
La concession de 1869 fut résilié et la “Société Impériale des Chemins de fer  de l’Empire Ottoman d’Europe” ne fut plus considérée que comme un entrepreneur travaillant pour le compte du gouvernement ottoman, qui prenait la responsabilité de l’opération. Mais la “Compagnie d’Exploitation des Chemins de Fer Ottomans” continuait à devoir payer la rente kilométrique de 8000 Francs. Hirsch fit alors ajouter dans le contrat de résiliation une clause qui n’obligeait  la compagnie à payer cette rente que si “la chose louée produit de fortes recettes et si le trafic est actif”. 

En réalité ce nouveau contrat signé le 18 mai 1872 libérait Maurice de Hirsch de toute obligation car le gouvernement ottoman “reste le débiteur unique et direct, tant pour le paiement des intérêts que pour l’amortissement des primes.” Hirsch n’était donc plus solidaire vis-à-vis des souscripteurs. 

Entre août 1872 et décembre 1874, il réussit à construire cinq tronçons. Mais en raison de diverses tergiversations du gouvernement ottoman, et peut-être pour satisfaire les russophiles, les 1500 kilomètres des cinq lignes n’étaient reliés à aucune liaison ferroviaire internationale. 

L'Orient-Express à ses débuts
Ils accusèrent Hirsch de ne pas avoir livré des lignes en conformité. Il finit par gagner tous les procès. Le gouvernement turc ayant repris les obligations de Hirsch fut incapable d’honorer les dettes contractées, à travers le même Hirsch qui a avait agi comme prêteur en son nom propre et au nom de la Banque de Paris et des Pays-Bas, des banques Camondo, Cahen d’Anvers, Bischshoffeim et Golsdchmidt, tous ses parents. Des porteurs de part autrichiens essayèrent d’appeler Hirsch en solidarité du gouvernement ottoman. Mais les tribunaux viennois jugèrent qu’il n’y avait pas de raison de le faire car le contrat initial de 1869 avait résilié par la Sublime Porte. Seul l’empire ottoman était responsable de la dette. Après négociation avec les créanciers sur la baisse du montant de la créance la Banque Impériale Ottomane, qui avait pris en main le Trésor turc, réussit à recommencer les paiements. 

Les Balkans étaient une poudrière et un certain nombre de conflits virent le jour de la signature de la convention de 1869 à l’inauguration de la ligne Vienne-Istanbul, but ultime de la construction ferroviaire, le 12 août 1888. 

Le conflits franco-allemand de 1870, s’il n’intéressait pas directement les Balkans, eut tout de même des répercussions sur les places financières près desquelles Maurice de Hirsch cherchait les capitaux nécessaires.

En 1875, des révoltes contre l’empire ottoman éclataient en Bosnie. En 1876, éclatait la guerre entre l’empire ottoman et la Serbie, soutenue par la Russie. En 1878, le Traité de San Stefano fut catastrophique pour l’empire Ottoman, dont le démembrement effectif commençait.

La plus importante disposition de ce traité est la reconnaissance de l'indépendance de la principauté de Bulgarie, englobant la quasi-totalité des “bulgarophones”, soit la plus grande partie de la Macédoine et s'étendant de la mer Égée au Danube et à la mer Noire. Cette principauté autonome serait vassale et tributaire de La Porte mais le prince serait choisi par la Russie.
L'indépendance de la principauté de Serbie, de la principauté du Monténégro et de la principauté de Roumanie est aussi reconnue. La Roumanie cède le sud de la Bessarabie à l'Empire russe et reçoit la moitié nord de la Dobroudja, en échange de la moitié sud, qui devient bulgare ; la Bosnie-Herzégovine devient autonome.

Dans le Caucase, la Russie reçoit des portions de territoire de l'Empire ottoman peuplées de Géorgiens et d'Arméniens (Ardahan, Artvin, Batoumi, Kars, Oltu et Bayazet).
Dans l'Empire ottoman même, le sultan s'engage à garantir la sécurité de ses sujets chrétiens.

Le Royaume-Uni et l’Autriche-Hongrie ne voient pas ce traité d’un bon oeil car il accroit l’influence et la présence russe dans les Balkans. Ils s’y opposent donc. Un nouveau traité est nécessaire.

 Le Congrès de Berlin par Anton von Werner - Berliner Rathaus 
Le Traité de Berlin fut signé le 13 juillet 1878. Le congrès de Berlin s’était tenu sous la présidence du chancelier Bismarck. Y participèrent outre l’Allemagne, la Russie, le Royaume-Uni, l’Autriche-Hongrie, la France, la Grèce, l’Italie, la Serbie et bien entendu l’empire Ottoman. 

Les résultats furent les suivants.

La Bulgarie est divisée en deux :
        - une principauté vassale de jure de l'Empire ottoman, allant du Danube aux contreforts des Balkans ayant Sofia pour capitale
      - les terres peuplées de Bulgares de la partie méridionale des contreforts des Balkans devenant autonomes à l'intérieur de l'Empire ottoman, la province de Roumélie orientale ; elle est amputée de la Macédoine, qui reste ottomane, de la mer Adriatique à la mer Égée. L'Empire ottoman conserve le droit de disposer de garde-frontières en Bulgarie.

La Thrace et l'Albanie demeurent également ottomanes. Dans ces provinces, ainsi qu'en Crète et en Arménie occidentale, l'Empire ottoman promet d'appliquer le règlement de 1868 protégeant les populations chrétiennes et leur donnant les mêmes droits qu'aux populations musulmanes.
    
La Principauté du Monténégro et la Principauté de Serbie deviennent indépendants de l'Empire ottoman, mais perdent les territoires reconnus par le traité de San Stefano ; en revanche la Serbie obtient des territoires, bulgares à San Stefano, du côté de Pirot.
    
Le Monténégro, qui au traité de San Stefano avait reçu le port d'Antivari sur la mer Adriatique, se voit refuser le droit d'y entretenir une flotte, tandis que le contrôle maritime et sanitaire du port est dévolu à l'Autriche-Hongrie.

Les Balkans après le Traité de Berlin
La Roumanie voit son indépendance, proclamée le 9 mai 1877, reconnue par les Puissances et reçoit les deux-tiers nord de la Dobroudja avec le delta du Danube.
    
L'Autriche-Hongrie obtient le droit d'occuper la Bosnie-Herzégovine (demeurée nominalement ottomane) et d'entretenir des garnisons à la frontière entre la Serbie et le Monténégro, dans le Sandjak de Novibazar (ou Rascie) demeuré à l'Empire ottoman.
    
Le Royaume de Grèce se voit promettre un aménagement frontalier en Thessalie et Épire, qui sera concrétisé en 1880.

Le résultat de ce traité fut l’apparition du terme balkanisation pour signifier émiettement territorial. Il contenait, suite au mécontentement de tout le monde, les germes d’un conflit qui éclata le 2 août 1914, après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, à Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, le 28 juin 1914.

Maurice de Hirsch fut présent tout au long du Congrès de Berlin car ses intérêts majeurs étaient en cause. Il avait traité avec un état sur un territoire et ce territoire changeait de main. Mais le comte Andrassy, ministre des Affaires étrangères de la Double-Monarchie, prit fait et cause pour Hirsch et finit par imposer que les nouveaux états issus du Congrès se substituent à la Sublime Porte pour garantir, redéfinir les tracés et achever ce qui avait été commencé. En 1883, une convention fut signée qui imposait de relier le réseau ottoman au réseau austro-hongrois. 

Maurice de Hirsch aurait pu être ruiné par toutes ces guerres et les traités qui en suivirent. Il n'en fut rien car sa position fut confortée pour un temps. Mais il perdit tout de même, celui qu’il avait engagé à ses côtés, Eugène Bontoux, ayant que la concession lui fut enlevée. Bontoux avait des appuis en Autriche, il sut jouer des bakchichs et des sentiments antisémites, en s’imposant comme “représentant de la puissance financière catholique”. Cette idée séduisait à nouveaux les hautes classes des sociétés française et autrichienne. 

Le dernier tronçon de la ligne permettant de joindre Vienne et Istanbul passait par la Serbie. Bontoux y distribua six millions de francs de bakchichs selon la presse de l’époque et obtint du gouvernement autrichien du comte Taffe de convaincre la Serbie de faire appel à Bontoux. 
Paul-Eugène Bontoux (1820-1904)
Mais Bontoux n’était pas à la hauteur et rapidement du faire face à des difficultés financières. Il tenta de se rapprocher de Hirsch pour l’aider à les surmonter. 

En 1878, Bontoux avait pris la direction de l’Union Générale, créée le 3 juin. C’est une banque catholique, ayant l’aval du comte de Chambord et des milieux légitimistes, ainsi que du Vatican. 

Action de l'Union Générale
Son capital est de cinquante millions de francs et en quelques mois l’action passe de 750 à 2500 Francs. Elle croît extrêmement rapidement, en multipliant les rachats et les investissements risqués, notamment dans les régions d'Europe centrale et danubienne dont la ligne de chemin de fer de Serbie dont la concession été enlevée à Hirsch. Ses investissements vont des compagnies d’assurances à la Lyonnaise de Eaux. Mais la banque spécule aussi en bourse.

Et le 19 janvier 1882, à la Bourse de Paris, le cours de l’action s’effondre. C’est le “Krach de l’Union générale”. Il est difficile d’analyser toutes les responsabilités  mais il est probable que la mauvaise gestion de Bontoux et les aléas boursiers entre ceux qui jouaient à la hausse et ceux qui jouaient à la baisse, l’opposition politique entre catholiques de droite et gauche libérale, ont contribué à sa chute. La banque ne pouvait pas honorer ses dettes.
La Bourse de Paris
La perte boursière de ce jour-là fut de quatre milliards de francs. Rappelons ici que l’indemnité de guerre due par la France à l’Allemagne en 1871 était de cinq milliards de Francs pour comprendre l’énormité de la perte. 

Tout fut donc dit sur les causes de cette faillite, mais l’opinion publique accusa la banque juive d’en avoir été la responsable. Cela est loin d’être prouvé mais cela nourrit l’antisémitisme de la fin du XIXe siècle en France. Les conséquences sur l’économie française furent durables dans tous les secteurs d’activité. 

Action de 20 000 Francs portant la marque de la faillite
Bontoux fut condamné à cinq ans de prison qu’il ne fit pas, s’étant réfugié en Espagne. 

Maurice de Hirsch n’échappa à la vague d’antisémitisme. 

Affiche antisémite à al fin du XIXe
Ses démêlés avec la gouvernement ottoman n’étaient pas terminés. Il lui avança 23 millions de francs pour lui permettre de faire la guerre à la Bulgarie en 1885. Cette somme était garantie sur la fameuse redevance kilométrique de 8000 Francs. Istanbul réclama 132 millions de francs à Hirsch qui refusa avec raison de payer. Pour trancher le litige les deux parties firent appel à un américain Oscar Straus, ambassadeur des Etats-Unis qui se récusa mais conseilla un grand juriste allemand le professeur von Gneist. Ce dernier rendit un rapport qui lavait Hirsch de tout soupçon de malversation ou de non respect des clauses des divers contrats signés depuis le début. Il lui demanda de verser 25 millions au gouvernement ottoman au lieu des 20 qu’il proposait. 

La gare d'Istanbul
Il lui écrivit également : “ Ce fut pour moi - je tiens à vous l’écrire - un privilège de pouvoir, à de nombreuses reprises, faire mention de la parfait probité de toutes vos positions dans ma sentence d’arbitrage relative à un affaire à tous égards si délicate et aux conséquences si lourdes que la vôtre” C’était en 1888. 

Maurice de Hirsch qui venait de perdre son fils, Lucien en avril 1887, avait décidé de se retirer des affaires. Il vendait ses compagnies à un groupe financier composé de Wiener Bank-Verein de Vienne, de la Deustch Bank de Berlin et de la Société du Crédit Suisse.

Affiche pour l'Orient-Express
Ces vingt ans dans l’aventure de ce qui serait l’Orient-Express avaient été vingt ans de lutte et lui avaient valu le surnom de “Türkenhirsch”. Une fois la balance des comptes faite, l’aventure lui avait rapporté un bénéfice de 160 à 170 millions de Francs (environs 660 millions d’euros). La somme est certes appréciable mais elle fut le résultat d’une énergie, une hardiesse et une prise de responsabilité considérables. Il faillit plusieurs fois être ruiné et réussit par son génie à se rétablir.

Maurice de Hirsch n’assista pas à l’inauguration de la ligne qui reliait enfin Paris à Istanbul, en passant par Vienne, le 12 août 1888. Il était passé à une autre étape de sa vie.

Voiture-lit d'un train de légende
Voiture-salon

La misère des Juifs et des autres

Pour être à même de suivre les travaux de près, Maurice s’était installé à Istanbul. Clara er leur fils Lucien, né le 11 juillet 1856, l’avaient suivi. La famille s’était installée dans un palais à colonnes dans le nouveau quartier de Pera, lieu de résidence du corps diplomatique et de la colonie européenne, à laquelle ils s’agrégèrent rapidement. 

La Grand-rue à Pera
Ils avaient également loué une résidence d'été somptueuse à Therapia, la station balnéaire de la haute société stambouliote.

Résidence de l'ambassadeur d'Angleterre à Therapia
Bals, réceptions, soirées à l’opéra furent leur lot mondain. Lucien passionné d’histoire et d’archéologie ne cessait de narrer son émerveillement devant la beauté de la capitale de l’empire ottoman. Et il est vrai que des dômes de Sainte-Sophie à ceux de la Mosquée bleue, en passant par le vieux sérail et tous les lieux magiques de la cité deux fois millénaires, pouvaient être vus avec les yeux et l’enthousiasme de Pierre Loti. 

Un Orient de rêves
Mais il y avait une autre face de la capitale, celle de la misère et de la puanteur, des rues bordées d’immondices, des chiens errants et des mendiants. Et ce spectacle de désolation qui attira les yeux de Clara. 

Quartier juif à Istanbul en 1912
Le prince Kesnin Bey, diplomate ottoman, écrivait à propos de la ville : “ très vite l’attrait cède la place à la répulsion; la déception vous saisit le coeur et vous fait monter l’amertume à la bouche…L’ambition, les vices, le crime, tout cela grouille dans les ruisseaux fangeux qui se déversent dans les eaux nobles de la Corne d’Or. A mesure que l’observateur pénètre plus profondément dans les bas-fonds de la vie de Constantinople, il reste atterré devant cette pourriture sans limites…comme devant l’immoralité administrative…Aujourd’hui, l’infection est complète: ce n’est plus un empire qui s’écroule ; c’est une société qui s’en va” ( “ Le Mal d’Orient. Moeurs Turques, Flammarion 1880)


Famille juive à Smyrne
Et parmi les plus pauvres se trouvent les 40 000 juifs d’Istanbul, 30 000 séfarades et 10 000 ashkénazes . S’ils jouissent d’une certaine autonomie et d’une grande tolérance religieuse de la part des autorités, bien plus grande qu’en Russie, en Europe centrale ou dans les Balkans, ils n’en sont pas moins dans un grand état d’arriération sociale et intellectuelle que Maurice et Clara, stupéfaits devant un tel état des choses, n’hésitent pas à en attribuer la responsabilité à l’obscurantisme des autorités religieuses israélites. 

Le juif de Constantinople, “ Déguenillé, puant, pouilleux…est demeuré misérable et dont la pauvreté égale l’ignorance…Mal nourri le juif oriental ne peut exercer da métiers qui n’exigent pas une certaine dépense de force”. Les propos de Kesnin Bey sont sans appel. 

Maurice de Hirsch dès 1872 prend contact avec l’Alliance Israélite Universelle, pour savoir comment leur venir en aide. L’Alliance Israélite Universelle a été fondée en France en 1860 avec pour but “ Défendre l’honneur du nom israélite toutes les fois qu’il est attaqué ; encourager par tous les moyens l’exercice des professions laborieuses et utiles ; […] travailler, par la puissance de la persuasion et par l’influence morale qu’il lui sera permis d’exercer, à l’émancipation de nos frères qui gémissent encore sous le poids d’une législation exceptionnelle.” 

Parmi ses fondateurs figure, Adolphe Crémeux (1796-1880), avocat qui, le 24 octobre 1870, par le “Décret Crémieux” accorda la citoyenneté française aux trente sept mille Juifs d’Algérie, leur permettant de s’extirper du statut islamique en ces termes : 
« Les israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel, seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française. Toutes dispositions législatives, décret, règlement ou ordonnance contraires sont abolis ».

Adolphe Crémieux par Lecomte du Nouÿ
Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme
L'Alliance va surtout se faire connaître en ouvrant des écoles (aussi bien primaires que professionnelles) dans de nombreux pays, en particulier dans les pays musulmans d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Ces écoles visent à fournir une éducation « moderne », aux standards français, à la jeunesse juive locale, mais sont aussi ouvertes à des non-juifs. 

Hirsch met un million de francs-or (quatre millions d’euros environ) à sa disposition pour developper son oeuvre d’enseignement en Orient. Ce fut le premier million de centaines d’autres pour aider les juifs pauvres, mais pas seulement les juifs, à sortir de la misère par l’éducation. 

Clara partageait voire devançait les idées de son mari en la matière. 

Lors du grand incendie de Constantinople, en 1880, le couple envoya 170 000 Francs pour secourir les victimes. Le comte de Camondo n’envoya que  3000 Francs et le baron Aphonse de Rothschild, 6000 Francs.


Abraham et Nissim de Camondo vers 1868
Les victimes des différentes guerres balkaniques jetées sur les routes, juifs, musulmans ou chrétiens, bénéficièrent également des largesses du couple. Il ne se contenta pas de l’Orient car les Juifs du Maroc, parias sociaux dans leurs pays, ou ceux de Galicie, victimes des pogroms de 1881-1882, furent secourus par lui. 

Lorsque l’administration ottomane décida de la destruction de certains quartiers pauvres de Constantinople en vue d’y installer une gare, Clara, consciente que les indemnisations prévues n’arriveraient que tardivement ou jamais, s’informa sur le montant du préjudice subi et fit un chèque personnel d’un montant équivalent. L’argent fut distribué directement à ceux qui avaient subi le préjudice pour leur permettre de se reloger.

A elle seule Clara distribua dans les premières années de sa présence à Constantinople près de 700 000 Francs-or en aides directes, toutes confessions confondues.

Mais faire la charité n’était pas le but ultime poursuivi par Maurice et Clara. L’éducation en vue de sortir les populations de la misère était pour eux la seule solution. Ils favorisèrent et financèrent la création d’écoles primaires, d’écoles professionnelles et techniques. Il fallait ajouter au savoir une connaissance immédiatement utile. Le baron Maurice de Hirsch devint donc au fil des années le principal soutien de l’Alliance Israélite Universelle.

Cette oeuvre qui se développa considérablement, dans d’autre domaines, que nous verrons plus loin, fut également en partie inspirée par l’oncle maternel de Clara, Salomon Goldschmidt, qui pratiquait une philanthropie à grande échelle où la charité directe n’avait que peu de place, l’éducation était le but de toute aide accordée.

Maurice de Hirsch était athée. Il déclara dans la revue américaine “The Forum” en 1892 : “ Pour soulager les souffrances humaines, je n’ai jamais demandé si l’appel au secours venait d’une personne qui appartenait à ma religion ou pas. Mais pour moi, c’est plus normal d’avoir comme principal objectif d’aider les disciples du judaïsme qui, depuis des milliers d’années sont opprimés, affamés, confrontés à la misère et à l’exclusion alors que le monde entier tourne le dos à leur souffrance.”

Il fut présent au Congrès de Berlin en 1878, car il fallait y débattre de la liberté de culte et des droits civils des Juifs en Russie et dans les Balkans. La nouvelle Roumanie indépendante qui se dessinait devait reconnaitre les droits de citoyenneté aux Juifs, c’était une condition de la reconnaissance, imposée par Bismarck, Lord Beaconsfield, Benjamin Disraeli, premier ministre britannique, Waddington, ministre français des Affaires étrangères, le comte Andrassy, ministre des Affaires étrangères de la monarchie austro-hongroise. 

Waddington (1826-1894)
Mais le nouveau parlement, le nouveau gouvernement roumains, antisémites viscéraux, une fois l’indépendance acquise oublièrent les conditions du statut que devaient voir les Juifs. De 1880 à 1890 une série de mesures les exclut des services publics, des professions libérales, barreau et médecine, d’une partie de l’industrie, de l’artisanat et même du petit commerce. Les écoles juives furent fermées et les écoles secondaires et professionnelles appliquèrent des quotas drastiques. Mais la Roumanie était indépendante et les puissances étrangères ne pouvaient plus rien. En Russie, la situation fut pire encore car après l’assassinat d’Alexandre II survinrent les programmes les plus meurtriers de l’histoire. 

Carol Ier de Hohenzollern-Sigmaringen était sur le trône de Roumanie depuis 1866, en qualité de prince souverain. Il ne deviendra roi qu'en 1881. Il semble qu'il n'ait rien pu faire pour améliorer le sort des Juifs, tant l'antisémitisme était grand au sein de la classe politique et de la population.

Carol Ier de Roumanie (1839-1914) par Tadeusz Ajdukiewicz -
Palais Cotroceni à Bucarest
Seules la Serbie et la Bulgarie offrirent l’émancipation à leurs populations juives. Le nouveau état bulgare, sous l’impulsion de son nouveau prince, Ferdinand de Saxe-Cobourg-Kohary, fils de la princesse Clémentine d’Orléans, le leur accorda sans atermoiement. Le nouveau prince de Bulgarie était un ami intime de Maurice de Hirsch. 

Au Congrès de Madrid en 1880, Il aida le sort des Juifs marocains, sous l’impulsion du gouvernement français dont le duc Decazes était le ministre des Affaires étrangères en 1877. Ducasse était aussi un ami de Hirsch. La situation des Juifs marocain, environ 300 000 individus, s’améliora considérablement. Maurice de Hirsch dota l’Alliance Israélite d’une somme de dix millions de francs-or en vue d’établir des écoles primaires et d’apprentissage dans tout le Magreb. 

Que ce soit au Congrès de Berlin ou au Congrès de Madrid, il s’agissait bien sûr d’obtenir les droits fondamentaux que sont accès à la citoyenneté et à l’éducation. 

Maurice de Hirsch, cosmopolite mondain

Maurice de Hirsch 

“ De belle taille, bien pris et agile, avec la moustache noire, le baron de Hirsch ressemblait à son arrivée à Paris à quelque élégant cavalier hongrois. La tournure paraissait comporter l’uniforme plutôt que la redingote et l’ensemble du personnage avait quelque chose de bizarre et d’exotique. Il n’y avait rien en lui de l’étranger ridicule et fastueux que l’on a surnommé “le rastaquouère” mais plutôt un fond de vivacité et d’audace qui rappelait la race tchèque ou hongroise, peut-être même certaines races asiatiques. Il avait le parlé bref, comme un homme habitué à commander ; quelques-uns l’accusaient d’arrogance et pourtant la société parisienne l’a toujours trouvé d’une aménité parfaite. Et comme il y a du diplomate en tout financier de cette envergure, il savait plaire quand il le voulait et se plier aux exigences des cours avec une grâce qui lui avait valu l’amitié de plusieurs princes, grand-ducs et archiducs” ( Le Gaulois, 22 avril 1896)

Maurice de Hirsch vers 1880
Le marquis de Breteuil dans son journal en parle ainsi : “L’extérieur de Hirsh ( sic), ses façons, tout dans son ensemble n’étaient pas faits pour séduire, et tels qu’ils étaient et tels qu’ils sont encore aujourd’hui. Il a l’air faux, ne regarde jamais les gens en face, parle le français avec l’affreux accent du juif allemand et a les manières d’un parfait parvenu : la puissance de l’argent et surtout du sien, revient trop souvent dans sa conversation…il lâche souvent des opinions qu’il ferait mieux de garder pour lui…et son langage sur les femmes est généralement très incorrect…En résumé, c’est un homme désagréable et très mal élevé. J’imagine qu’il est intelligent puisqu’il a su gagner tant d’argent, mais au premier abord, il n’est pas facile de s’en rendre compte.” ( Journal secret du marquis de Breteuil, 1887, tome 3 )


Caricature du marquis de Breteuil (1848-1916)


Les portraits du baron de Hisrch représentent un très bel homme. "En le croisant dans la rue des centaines de femmes doivent se retourner pour regarder cet homme distingué. Mais je doute qu’aucun artiste ait jamais réussi à rendre sa grâce majestueuse et sa finesse aristocratique, pas plus que le franc sourire qui éclaire son visage quand il s’adresse à quelqu’un. De la bonté irradie alors ses yeux et il y a comme une sorte d’énergie, de force électrique qui se dégage de lui…” ( G.Selilowitch “Remembrances” Jewish Daily News 13 janvier 1920)

Il est difficile d’avoir des opinions si différentes sur le même homme. On peut supposer que celle du marquis de Breteuil, teinté d’antisémitisme, est outrée. Les deux autres rendent hommage à une personnalité hors du commun. 

Edouard Drumont en fait le portrait suivant , dans “La France Juive” : “Hirsch occupe à Paris une position supérieure à celle des Rothschild. Il est le Baron comme d’autres sont les barons. Au rebours des Rothschild qui tiennent à personnifier une collectivité, le baron tient à être seul et laisse toute sa famille dans un demi-jour dédaigneux. Il n’a point la morgue et la hauteur des Rothschild que l’on ose à peine aborder maintenant dans un salon ; parvenu réjoui, il est infiniment plus ouvert, plus rond que les princes d’Israël, est somme toute moins ridicules qu’eux. Il est insolent sans doute mais mais son insolence est goguenarde et familière. Haut en couleur, les narines ouvertes, heureux de vivre quand il en se roule pas dans d’atroces douleurs hépatiques, il est volontiers bonhomme avec une pointe de raillerie…”

Avec son français imparfait, son allemand de Bavière, son yiddish, mélangeant souvent les trois langues dans une même phrase, avec ses centaines de millions, avec son somptueux hôtel de l’avenue Gabriel, ses châteaux et ses chevaux, ses chasses, son aventure ottomane, le baron Maurice de Hirsch a de quoi séduire et faire sourire dans une société aussi policée que la société aristocratique de la fin du XIXe siècle. Les membres de la haute banque juive y ont trouvé leur place, plus souvent tolérés que vraiment acceptés. Mais les mariages entre eux et les membres de la haute aristocratie, comme les Chevigné, les Gramont, les Richelieu ou les Monaco, ne sont pas rares mais ils ne doivent pas faire illusion. L’opinion du marquis de Breteuil était probablement l’opinion dominante de la haute société vis-à-vis de Hirsch.


Marguerite de Rothschild (1855-1905), duchesse de Gramont
par Lazslo

Alice Furtado-Heine (1858-1925), duchesse de Richelieu puis princesse de Monaco 

Celui-ci pourtant était bien l’ami des princes.

Les trois plus importants parmi eux furent l’archiduc Rodolphe, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, le prince de Galles et Ferdinand de Saxe-Cobourg-Kohary, prince puis roi de Bulgarie. Il fut aussi proche des princes d’Orléans et aida bien souvent les milieux légitimistes et le comte de Chambord.

L’amitié des princes, si elle est sincère, est aussi parfois intéressée, dans les deux sens.

Archiduc Rodolphe d'Autriche(1958-1889)
Par Angeli en 1885

L’archiduc Rodolphe ne fut son “ami” que pour une brève période, cinq ans. Leur rencontre eut probablement lieu vers 1884, chez des amis communs, Kinsky, Beust ou Zichy, tous dans le milieu de la chasse. Hirsch aida financièrement Maurice Szeps, proche de l’archiduc Rodolphe. Mais il aida aussi directement l’héritier du trône à hauteur de plusieurs millions de florins. Après le drame de Mayerling, Hirsch ne réclama jamais sa créance. 

Edouard, prince de Galles (1841-1910) vers 1880
Le prince de Galles vivait lui aussi entouré de banquiers juifs, Hirsch n’était que l’un d’entre eux. Mais ils étaient suffisamment proches pour que le prince se considère chez lui dans l’hôtel de l’avenue Gabriel, au point d’y donner des dîners. Ils partageaient le goût de la chasse et des courses. Le prince introduisit le baron dans la haute société anglaise, avec laquelle il n’avait que for peu de relations. On estime à 15 millions de francs-or les sommes prêtées au prince et jamais réclamées. La reine Victoria, toutefois, ne le reçut jamais, ne voulant pas déplaire à la famille impériale russe, avec laquelle Hirsch avait des démêlés à propos du sort des juifs russes. Ernest Cassel, grand-père de Lady Mountbatten, fut l’exécuteur des dernières volontés du baron, parmi lesquelles, il y a avait l’annulation de la dette du prince de Galles. 

Ferdinand de Saxe-Cobourg-Kohary(1861-1948)

Ferdinand de Saxe-Cobourg-Kohary était le petit-fils de Louis-Philippe, donc le cousin germain du comte de Paris. Son frère a épousé la princesse Louise de Belgique, sa soeur a épousé Joseph de Habsbourg-Lorraine, palatin de Hongrie. Les reines Victoria de Grande-Bretagne et Marie II du Portugal sont ses cousines. Il est l’époux de la princesse Marie-Louise de Bourbon-Parme, fille aînée du duc Robert de Parme. 

Devenu tsar des Bulgares, il n’en continua pas moins à être l’ami de Hirsch et un philosémite convaincu. Il semble que ce soit Maurice de Hirsch qui ait suggéré son nom lors du Congrès de Berlin quand il s’est agi de choisir un prince pour la Bulgarie. Mais Alexandre de Battenberg fut alors désigné. Hirsch a sans doute aidé financièrement la nouvelle Bulgarie indépendante. Et l’on se souvint de Ferdinand quand Alexandre de Battenberg, à la suite de différends avec le parlement bulgare, dut quitta la Bulgarie. Alexandre de Battenberg était l’oncle de la reine d’Espagne, Victoria-Eugènie et de Lord Mountbatten.

Ferdinand était riche et ce n’était pas de l’argent qu’il devait à Maurice de Hirsch, mais son trône. Sa mère, la princesse Clémentine d’Orléans, avait probablement du son mariage avec le prince de Auguste de Saxe-Cobourg-Kohary, l’homme le plus riche d’Europe, au beau-père de Maurice, le sénateur Bischoffsheim, qui en aurait été l’instigateur. C’est ce qui explique sa visite, remarquée, à Clara de Hirsch à la mort du baron. 

Les Hirsch à compter de 1872 possèdent non seulement leur hôtel de l’avenue Gabriel mais aussi à la Celle-Saint-Cloud le château de Beauregard. 


Château de Beauregard 
Mais ils avaient également une résidence à Londres, un domaine dans la campagne anglaise, Grafton House, le château de Eichorn, un domaine de 20 000 hectares près de Brünn en Moravie, le domaine d’Ogyalla en Hongrie, avec ses 80 000 hectares pour la chasse et une petite maison à Pau.



Château de Eichorn

L’année mondaine des Hirsch commençait à Pau au printemps où le baron chassait le renard avec le marquis de Breteuil, l’ami qui en disait du mal, puis ils se rendaient en Angleterre, toujours pour la chasse et les courses. L’été se passait à Beauregard. L’automne les voyait à Carlsbad et en Moravie. L’hiver se passait à Paris et parfois à Monte Carlo.


Grafton House, près de Newmarket

Une journée type à Paris commençait pour Maurice de Hirsch par dicter son courrier, étudier les courses de la Bourse. Il déjeunait à la maison ou dans un restaurant à la mode en compagnie de ses amis titrés ou non mais tous membres du Jockey Club dont lui-même n’en était pas. Puis il allait avec eux au bois de Boulogne faire admirer ses attelages. Le soir était consacré aux mondanités, à recevoir chez lui ou à aller en soirée chez qui voulait bien le recevoir, car beaucoup de maisons aristocratiques lui restaient fermées.

Pour Clara, la journée était plus simple. Elle préférait les petits comités aux  grands raouts et ne consentait à recevoir quasi royalement avenue Gabriel ou ailleurs que pour faire plaisir à son mari. Elle était économe et gérait sa maison comme une ménagère, sans en confier le soin à une gouvernante ou un majordome. Elle contrôlait achats et dépenses et évitait pour elle-même les excès de toilettes, préférant une petite couturière aux grandes maisons de la rue de la Paix. Maurice déclarait que “ sa femme aurait été plus comblée en étant l’épouse d’un homme modeste plutôt que celle d’un millionaire car elle aurait eu alors toute latitude pour économiser et déployer ses talents ménagers à bon escient.” Il se manquait gentiment de celle qui a tout de même eu 80 millions de dot.  

Le “Gaulois” était rempli dans ses colonnes mondaines des activités du couple : inauguration d’expositions, auxquels ils peuvent prêter leurs tableaux, comme “Le Joueur de flûte” de Franz Hals, “Une famille de Bourgeois Hollandais “ de Van Dyck ou une “Vierge” de Murillo, un bal à l’ambassade d’Autriche, la signature du contrat de mariage de Constance Schneider la fille du maître de forges, avec le comte Gérard de Ganay, une soirée de 1500 personnes chez le baron Alphonse de Rothschild. 

Tel fut l’emploi du temps mondain des Hirsch, les premiers mois de 1887, avant le malheur qui s’abattit sur eux. 

Lucien de Hirsch
Lucien de Hirsch était né à Bruxelles le 11 juillet 1856. A son retour de Turquie, il suivit les cours du Lycée Condorcet où il n’eut que des résultats médiocres dans un environnement francophone alors qu’il était essentiellement germanophone. En 1874, il fut inscrit, après avoir passé le baccalauréat allemand, à l’université de Bonn, en classe préparatoire au droit romain, à la philosophie et aux sciences physiques et naturelles. Son père aurait préféré le voir choisir des disciplines scientifiques ou commerciales. Cette divergence de vues entraînera une mésentente profonde entre le baron et son fils. En 1877, il revint à Paris, où cette fois il put passer le baccalauréat avec succès et s’inscrire en faculté de droit, d’où il sort diplômé en 1879. Parallèlement il suivait des cours d’histoire à la Sorbonne et était inscrit à l’Ecole des Beaux-Arts. Là non plus rien pour satisfaire son père. Ayant un vrai talent de dessinateur, il ne dépassa pas toutefois le stade de l’amateurisme, trop pris pas sa vie mondaine. 

Sa vraie passion était la numismatique, révélée par le comte de Prokesch-Osten, lors de son séjour à Constantinople. Ce dernier lui fit cadeau d’une belle monnaie à l’effigie d’Alexandre le Grand. Ce fut le début d’une collection, qui, enrichie d’année en année, est considérée aujourd’hui comme une des plus belles au monde. Elle est aujourd’hui à Bruxelles au Cabinet des Monnaies de la Bibliothèque Royale. 
Son instinct, son goût très sûr et ses capacités financières firent que, déjà à l’âge de 22 ans, il eut le plaisir de la voir exposée à l’Exposition Universelle de 1878. Il l’a limitée volontairement aux monnaies grecques et en or. 


Pièce d'or à l'effigie d'Alexandre le Grand

Son diplôme obtenu il entreprit un voyage de plusieurs mois en Italie du Sud, en Sicile et en Grèce, accompagné de Théobald Fischer qui était son précepteur depuis son enfance. 
Ne se contentant pas de collectionner les monnaies, il enrichit ses connaissances et sa collection par la lecture et l’achat d’ouvrages, constituant ainsi une des collections les plus importantes en la matière. Il acheta aussi des statues, des terres cuites, des vases et des bijoux antiques. 
Il passait son temps à voyager et sa correspondance permet de découvrir le fossé qui séparait le père et le fils. Dans une lettre du 10 juillet 1886, il déclare à la fois son amour filial et répond aux reproches de son père qui le voit comme un “mauvais sujet”, tout en affirmant son besoin d’indépendance. 
Maurice songeait à le marier et de préférence dans l’aristocratie anglaise, envisageant sans problème une possible conversion de leur fils au christianisme. Il avait jeté son dévolu sur une jeune fille charmante Margot Tennant à laquelle il proposa son fils, lors d’un souper au Café Anglais. La jeune fille déclina poliment cette invitation à mariage avec un jeune homme certes très bien et promis à une immense fortune mais qu’elle ne connaissait pas et donc, de ce fait, ne pouvait être amoureuse, seule condition à ses yeux pour se marier. Vexé Maurice de Hirsch lui répondit qu’aucun sentiment ne résiste à la pauvreté, en particulier chez une aristocrate élevée dans le luxe. Si Margot Tennant était d’un caractère indépendant, voire rebelle, issue d’une famille d’industriels écossais, ayant accédé à la noblesse, elle n’en épousa pas moins Herbert Asquith, futur premier ministre et futur comte d’Oxford, à la carrière politique solidement établie au moment du mariage en 1894. 



Margot Tennant (1864-1955), Lady Asquith, comtesse d'Oxford
Mais Lucien préférait les demi-mondaines aux aristocrates. De sa relation avec une jeune croate, Irene Premelic, naquit le 16 octobre 1885, une fille prénommée Lucienne mais née “de père et mère non déclarés”. Lucien avait arraché Irène à une vie dissolue à Vienne et l’avait installée luxueusement à Paris, rue du Colisée. Mais Irène, couverte de fourrures et de bijoux par son amant, n’en accumulait pas moins les dettes. Sa frivolité et sa futilité finirent par lasser Lucien qui partit alors en Angleterre. S’il n’avait pas reconnu l’enfant, il avait tout de même parlé de son existence à sa tante Hortense Montefiore, qu’il considérait comme une seconde mère. Il lui avait même confié qu’il envisageait de faire élever l’enfant dans le religion catholique, celle de sa mère.  En revanche, il n’avait rien dit à ses parents. 

Lucien de Hirsch, peu avant sa mort
Atteint de tuberculose, malgré les soins qu’il reçut, Lucien mourut le 6 avril 1887. Il avait 31 ans. Plus de cinq mille personnes suivirent le convoi funèbre. Maurice et Clara ne cachèrent pas leur désespoir d’avoir perdu leur fils unique. Chacun reconnaissait à Lucien “ sa bonté, sa douceur, sa charité et sa modestie”. Et il est vrai qu’il n’avait aucun intérêt pour les affaires, il partageait avec ses parents une grande philanthropie. Selon le Grand Rabbin de Budapest qui fit son éloge dans la Grande Synagogue de la ville : “C’était un homme paisible et modeste…qui savait enrichir ses phrases de mots miséricordieux pour les plus humbles…qui avait la modestie des sages…Lui qui avait vu la générosité de  ses parents dépasser toutes les autres…courait comme un daim pour faire le bien. On disait de Lucien-Jacob qu’il élevait trente orphelins…s’occupant de pourvoir à tout ce qui leur manquait…Par modestie, il faisait la charité en cachette, en faisant ses dons clandestinement” .

Mais Lucien laissait une orpheline dont ses parents apprirent l’existence le lendemain de sa mort par une lettre d’Irène qui se disait “prête dans un élan de sacrifice sublime à confier à la baronne pour la consoler de son chagrin et assurer un meilleur avenir à l’enfant.” 

Maurice et Clara, après avoir acquis la certitude que Lucienne, née de parents inconnus, était bien la fille de Lucien, décidèrent de l’adopter. Cela se fit rapidement aux termes d’une négociation lors de laquelle Maurice voulait obtenir l’enfant, tout en n’assurent à la mère que ce qu’il lui fallait pour vivre dignement loin de Paris. Le 26 avril 1887, Irène reconnaissait l’enfant, formalité préalable à l’adoption, et le 7 octobre 1887, Lucienne devenait Lucienne Premelic de Hirsch, fille adoptive du baron Maurice de Hirsch, adoption à laquelle consentait sa femme, Clara, le 27 octobre 1887. Dès son adoption Lucienne recevait un million de francs-or, avec une disposition testamentaire de huit millions de francs-or et un capital de 100 000 Florins autrichiens. Sa mère, Irène, déclarait “ consentir à s’abstenir complètement et sans restriction de toute influence directe ou indirecte sur l’éducation de la mineure.” Maurice lui assura un capital et une rente à vie. Elle partit vivre en Italie. Clara restera en contact avec elle jusqu’à sa mort, lui prodiguant des conseils de gestion et d’économie domestiques. Les lettres sont aux archives du Royaume de Belgique.

La même année, en juillet, Maurice annonça à sa famille son intention d’adopter deux autres enfants, avec le consentement de Clara, au grand scandale du frère de Clara, Ferdinand Bischoffsheim, et de sa soeur Clara Goldschmidt. Pour eux, Maurice profitait du désarroi de Clara après la mort de leur fils, pour lui imposer ses deux bâtards. Le frère et la soeur révélèrent alors à cette dernière l’infidélité de son mari, sans aucun ménagement. Les autres membres de la famille acceptèrent cette décision car ils comprirent que la présence de ces enfants était en réalité bénéfique à Clara. 

Ces deux enfants n’avaient officiellement aucun lien biologique avec Maurice. Edouard Deforest et Juliette Arnold, deux artistes américains installés à Paris, avaient eu deux garçons, Maurice Arnold, né le 9 janvier 1879, et Raymond né le 23 février 1880. Les parents étaient décédés de fièvre typhoïde en 1882. Et les deux orphelins avaient été pris en charge, comme d’autres, soit par Maurice, soit par Lucien. C’est du moins ce qui fut déclaré par le notaire français chargé de l’adoption. 

Cette adoption aurait eu une raison d’un autre ordre. Maurice de Hirsch était né bavarois, puis avait opté pour la nationalité belge, puis pour la nationalité française, ce dont nous n’avons pas la preuve, et enfin pour la nationalité autrichienne. Selon la loi autrichienne, s’il décédait sans enfant, ce qui était devenu le cas à la mort de Lucien, il ne pouvait pas disposer de ses biens comme il le souhaitait. Sa fortune devait revenir à sa famille et celle de Clara à la sienne. La présence d’enfants permettait au couple de disposer de ses biens en faveur de ceux-ci mais aussi en faveur l’un de l’autre. Pour Maurice, comme pour Clara, c’était l’essentiel car cela leur permettait, en cas de décès de l’un de pouvoir continuer leurs activités philanthropiques, sans que leurs familles aient quoique ce soit à voir. Maurice et Clara n’étaient pas sûr que leurs frères, soeurs ou neveux et nièces aient continué l’ouvre immense qui se dessinait devant eux. 

Maurice de Hirsch et Maurice-Arnold Deforest-Bischoffsheim

Les deux garçons ont donc été adoptés par Maurice et Clara sous le nom de Deforest-Bischoffsheim. Aucune mention du nom de Hirsch n’est faite. Arnold Maurice fit ses études en Angleterre, tout d’abord Eton, puis Oxford. A la mort de Maurice, Clara déposa une demande officielle à Vienne pour l’anoblissement par l’empereur d’Autriche de ses fils adoptifs et de Lucienne, fille adoptive de son mari. François-Joseph accède à sa demande en conférant à chaque enfant un titre de baron. Maurice Arnold deviendra également comte de Bendern en principauté de Liechtenstein. Il mena grand train entre l’Angleterre, où ami de Winston Churchill, il occupa une position politique et l’Europe, investi également dans les sports de haut niveau.  Maurice Arnold, riche de son héritage, avait laissé tomber au passage le nom de Bischoffscheim car il avait honte de l’origine juive de sa fortune. Marié en France une première fois avec l’héritière des Chocolats Menier, il se remaria dans la noblesse anglaise. Sa descendance existe toujours.


Maurice Arnold, baron de Forest, comte de Bendern

Raymond, atteint d’une maladie psychique, passa l’essentiel de sa vie au château de Beauregard, sous surveillance médicale.

Le doute subsiste sur la filiation des deux garçons qui auraient bien été les fils de Maurice de Hirsch. 

Les rapports des Hirsch avec Lucienne, qu’ils appelaient Lily, ne furent pas plus heureux. Devant retourner à Constantinople pour affaires, le couple la confia au couple Montefiore, leur soeur et beau-frère. A leur retour de Constantinople, les Montefiore refusèrent de rendre l’enfant, et il s’ensuivit une série de procès et de tractations relatifs à la garde, à l’adoption éventuelle de l’enfant par les Montefiore, à sa conversion au catholicisme. 

Monument édifié à Esneux en Belgique à la mémoire d'Hortense Montefiore

Les Montefiore refusaient que Lucienne aille voir ses grands-parents. Maurice et Clara n’eurent pas le bonheur d’élever, ni même de connaître vraiment leur petite-fille, se battant en vain  pour récupérer l’enfant. A la mort de ses grands-parents,  et de sa tante Hortense en 1901, Lucienne fut la plus riche héritière de Belgique avec 25 millions de francs-or et 24 millions de couronnes autrichiennes. Le 18 mai 1904 à Bruxelles, Lucienne avait épousé Edouard Balzer, un banquier allemand.

Château du Rond-Chêne en Belgique où fut élevée Lucienne

Sa mère, Irène Premelic, fut marié à comte sicilien désargenté. La rente reçue des Hirsch ne suffisait pas à son train de vie, et ce d’autant moins qu’elle devait entretenir toute la famille de son mari. Elle demanda des secours, en secret, à sa fille mais elle mourut dans la misère.

L’héritage réel de Maurice et Clara de Hirsch, s’il fut en partie transmis à leurs enfants adoptifs, ne résidait pas en fait dans cette transmission matériel. Il s’accomplit dans ce qui sera leur oeuvre véritable.


Maurice de Hirsch vers 1886